Série de Lucens : démantèlement d’une centrale pionnière
Bien que le mode de construction de la centre atomique expérimentale ait été éprouvé, cette innovation n’a pas su convaincre du point de vue technique. Après l’accident, la centrale située à proximité de la Broye a été progressivement démantelée. Un dépôt cantonal de biens culturels occupe aujourd’hui le site de l’ancienne installation nucléaire.
L’accident subi par la centrale expérimentale de Lucens, de même que le traitement accordé à l’accident par la commission d’enquête ont fait l’objet a posteriori d’évaluations différenciées, voire critiques. En 2007, Roland Naegelin constatait avec recul et avec satisfaction que la commission d’enquête avait confirmé les conclusions de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires (CSA) dans son examen de la demande de délivrance de l’autorisation d’exploitation définitive. Elle constatait que toutes les conditions de sécurité nécessaires et raisonnablement envisageables étaient satisfaites à l’aune des évolutions les plus récentes des sciences et des techniques.
Naegelin note toutefois aussi que la commission d’enquête a blâmé la CSA sur un point dans son rapport de 1979 : la CSA a ainsi omis de constater que la communauté de travail de Lucens n’avait pas procédé correctement aux essais d’étanchéité de la caverne de réacteur, ce qui a entraîné lors de l’accident le rejet de substances radioactives dans l’environnement.
Dans son avis exprimé sur le rapport de la commission d’enquête, la CSA constatait que l’accident qui s’est produit se situait largement dans les limites de l’accident de conception. Le Deutsche Institut für Nukleare Sicherheitsforschung der Kernforschungsanlage Jülich GmbH (Institut allemand de recherche sur la sécurité nucléaire des installations de recherche de Jülich) s’est également penché quelques années plus tard sur l’accident de la CNEL.
Après l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, J. Wolters, collaborateur de l’institut, a effectué une comparaison entre différents accidents nucléaires et a particulièrement apprécié le fonctionnement des systèmes de sécurité à Lucens : « Le système de protection du réacteur a réagi à l’accident par la mise à l’arrêt immédiat du réacteur et la fermeture de la caverne de réacteur. Tous les dispositifs de sécurité ont fonctionné sans faille comme prévu. » L’enveloppe de protection de la caverne de réacteur avait été conçue en fonction d’un accident d’une ampleur bien plus importante que celui qui s’est produit. L’enceinte de confinement s’est « exceptionnellement bien comportée », selon Wolters.
Démantèlement progressif de la centrale expérimentale
Après l’accident du 21 janvier 1969, la centrale nucléaire expérimentale de Lucens a été décontaminée puis démantelée. Les 72 éléments combustibles non endommagés ont été livrés à l’installation de retraitement Eurochemic de Mol (Belgique) et l’eau lourde (décontaminée et purifiée) a été vendue.
Les déchets faiblement radioactifs issus du démantèlement et du démontage des installations ont été déposés dans près de 230 fûts standards qui ont été conditionnés par l’Institut fédéral de recherche sur les réacteurs (IFR) et gérés par cet organisme.
Les composants fortement radioactifs ou contaminés de plus grande taille ont été démontés et conditionnés dans six conteneurs en acier scellés hermétiquement par soudage, de même que les 60 kg d’uranium issus de l’élément combustible 59 fortement endommagé. Ces six conteneurs sont restés stockés sur le site de la CNEL, régulièrement surveillé par l’autorité de tutelle (à partir de janvier 1973 par la Division pour la sécurité des installations nucléaires [DSN], puis à partir de mars 1982 par la Division principale de la sécurité des installations nucléaires [DSN]).
Interview vidéo avec l’ancien directeur de la CNEL, Jean-Paul Buclin (partie 3):
Après que la CNEL a cessé son activité, la Confédération a envisagé d’aménager le site de Lucens pour le stockage définitif de déchets radioactifs. Cette idée a toutefois été rapidement abandonnée, car la caverne excavée dans la roche était trop humide et ne convenait donc pas pour un stockage final.
L’installation a été définitivement désaffectée en 1991/93 par remplissage de la caverne et autres locaux par du béton, avec mise en place d’un système de drainage. La DSN constatait en 1995 que les travaux de désaffectation définitive étaient achevés.
Elle considérait également comme satisfaite l’obligation de maintien à moins de 0,1 mSv/an des doses efficaces reçues individuellement par la population dans la zone concernée et ceci sans surveillance ni entretien du système de drainage.
En avril 1995, le Conseil fédéral constatait dans une décision que le terrain du site de Lucens, à l’exception d’une petite parcelle servant au stockage des six conteneurs de déchets, ne constituait plus une installation nucléaire au sens de la loi sur l’énergie nucléaire et pouvait donc être utilisé à d’autres fins.
Le gouvernement demandait toutefois à l’Office fédéral de la santé publique d’assurer la surveillance radiologique du terrain pendant 30 ans.
Le canton de Vaud a alors installé dans la caverne de la turbine un dépôt pour ses musées, bibliothèques et archives. En 2003, les six conteneurs de déchets radioactifs restants ont été transférés au Centre de stockage intermédiaire pour déchets radioactifs (ZWILAG) de Würenlingen. Le 3 décembre 2004, le Conseil fédéral décidait de lever l’obligation de surveillance de la petite parcelle.
Il s’agit là de la dernière partie de notre série de dix articles sur l’histoire de l’anciennen centrale nucléaire de Lucens. Tous les articles (diaporamas et interviews filmés) se trouvent dans notre dossier.