Interview avec le directeur de l‘IFSN : « Fukushima ne doit pas se produire chez nous »

La catastrophe nucléaire de Fukushima Dai-ichi s’est produite il y a deux ans. Les enseignements tirés ont contribué à la sécurité des centrales nucléaires suisses, explique Hans Wanner, directeur de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) dans une interview avec le journal Die Botschaft.

Die Botschaft : Monsieur Wanner, lorsque vous repensez aux événements de mars 2011, à ce qui a été fait au niveau suisse dans le domaine de la sécurité nucléaire et aux leviers à l’œuvre dans la politique énergétique, qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? Hans Wanner: L’événement de Fukushima a eu pour conséquence de réorienter de manière fondamentale la politique énergétique suisse dans un laps de temps extrêmement court. Les projets de construction de centrales nucléaires de la plus récente génération ont été suspendus. Nous devions alors immédiatement réorienter nos priorités. Dans le domaine de la sécurité nucléaire, nous avons ordonné des mesures d’amélioration supplémentaires. Sur la base du test de résistance de l’Union européenne, nous pouvons toutefois affirmer avec conviction que les centrales nucléaires suisses ont un standard de sécurité élevé en comparaison internationale.

Le directeur de l’IFSN, Hans Wanner, a visité en décembre 2012 Fukushima Dai-ichi (Photo : Jürgen Döschner)
Le directeur de l’IFSN, Hans Wanner, a visité en décembre 2012 Fukushima Dai-ichi (Photo : Jürgen Döschner)

Comment décririez-vous le travail de l’IFSN dans les jours qui ont suivi l’accident à la centrale nucléaire?

Stressant et accablant. Mes collaborateurs ont pourtant fourni un travail énorme en vue de répondre au besoin en informations des décideurs et du public ainsi que pour démarrer de premières mesures en Suisse.

L’IFSN a informé plusieurs fois par jour sur la situation au Japon. Comment êtes-vous parvenus à ces informations et quand avez-vous eu pour la première fois des spécialistes sur place ?

Dans les premiers jours après le tremblement de terre au Japon, il était particulièrement difficile d’obtenir des informations. En tant qu’autorité de surveillance, nous devons employer des informations sûres. Nous ne pouvons pas nous appuyer sur des rumeurs et des spéculations. Nos spécialistes avaient pour tâche d’examiner la multitude d’informations en fonction de leur plausibilité. Cette opération devait nous permettre de nous faire une image la plus réaliste des déroulements à Fukushima. Dans un premier temps, nos collaborateurs ne se sont pas rendus à Fukushima. Nous avons toutefois soutenu l’Ambassade suisse à Tokyo avec des spécialistes issus du domaine de la radioprotection.

Avez-vous eu la possibilité de respirer pendant cette phase mouvementée, de prendre du recul et de faire un état des lieux ?

Pas vraiment. Le besoin du public en informations et en catégorisation était incroyablement important. En plus de cela, il s’agissait aussi d’assurer le travail technique.

Le travail à l’IFSN, respectivement la culture du travail, s’est-il modifié depuis mars 2011?

Le changement le plus palpable est certainement la suspension des projets de nouvelles constructions. Avant Fukushima, nous travaillions à orienter l’IFSN sur la construction de nouvelles centrales. Depuis Fukushima, nous engageons nos ressources libérées par la suspension des projets au traitement de Fukushima. Cet événement nous occupera encore quelques années. Par ailleurs, la décision de sortir du nucléaire a orienté les projecteurs sur l’exploitation à long terme des centrales nucléaires. L’aspect de la désaffectation de centrales a également pris de l’importance. La question de la culture, à l’instar de la culture de sécurité, est un sujet permanent depuis Tchernobyl. Son importance a été à nouveau confirmée par Fukushima. Il ne faut pas non plus oublier que le public nous accorde plus d’attention depuis deux ans.

Peu de temps après les événements au Japon, l’IFSN a exigé des exploitants de centrales une série de démonstrations. Ces démonstrations n’auraient autrement pas été requises. Les centrales nucléaires suisses sont-elles aujourd’hui plus sûres qu’il y a deux ans ?

Il y a deux ans, elles avaient déjà un standard de sécurité élevé. Les démonstrations de sécurité récentes le confirment. Sur la base des enseignements de Fukushima, la sécurité pouvait cependant être encore améliorée. Ce n’est toutefois pas un effet nouveau. Nous exploitons chaque événement pour apprendre et pour en dériver d’éventuelles améliorations.

Concrètement, que signifie pour vous la sécurité ?

La loi sur l’énergie nucléaire prescrit que l’être humain et l’environnement sont à protéger contre les dangers de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. Le niveau de sécurité, auquel nous orientons notre travail d’autorité de surveillance, est également donné par la loi. Au-delà de ces normes, les centrales nucléaires doivent disposer de réserves de sécurité supplémentaires.

Hans Wanner en discussion avec les militants anti-nucléaires.
Hans Wanner en discussion avec les militants anti-nucléaires.

Votre travail comme directeur de l’IFSN n’est certainement pas devenu moins exigeant après Fukushima. Comment avez-vous vécu, durant ces deux dernières années, la gestion de l’un des instituts suisses les plus controversés, pour ne mentionner que le forum de l’IFSN « boycotté » et le rassemblement de militants anti-nucléaires devant le siège de l’IFSN ?

Je ressens mon travail comme un défi passionnant. Le dialogue avec les différents représentants d’intérêts en fait partie. Les ingénieurs et techniciens des sections spécialisées ont avant tout subi une charge de travail importante. En plus, du travail de surveillance quotidien et des projets importants dans les centrales nucléaires, il a fallu et il faut encore gérer le traitement de Fukushima.

Avez-vous aussi parlé avec les opposants se réunissant devant le siège de l’IFSN ? Quel était le contenu de ces discussions ?

Je dialogue de temps à autre avec des représentants de ce groupe. Ces rencontres ont lieu soit à notre entrée soit à l’occasion de réunions et de manifestations à notre siège. Ces discussions portent sur leurs préoccupations relatives à la sécurité des centrales nucléaires, en particulier de Beznau.

Y a-t-il des décisions des deux dernières années que vous prendriez de manière différente ?

Non. Nous avons analysé nos décisions dans une rétrospective. Du point de vue actuel, les décisions étaient correctes. Mais il y a aussi eu, lors de ces deux années, de nouvelles connaissances qui ont donné une autre signification à des décisions antérieures. Il s’est par exemple avéré que la problématique de l’hydrogène était moins aiguë vers les piscines de stockage que ce qui avait été supposé au départ.

L’IFSN a rédigé plusieurs rapports concernant les événements au Japon. Elle a publié des enseignements tirés et élaboré un plan d’action. Quels sont à votre avis les principaux enseignements ?

Ils sont tous importants, mais ils n’ont pas tous la même urgence au niveau du calendrier. A mon avis, le fait que nous devions nous occuper de manière plus concrète de questions relatives à la maîtrise d’un accident grave se trouve au premier plan. Dans cette optique, différentes autorités doivent collaborer de manière irréprochable au-delà des frontières. Cet aspect a peut-être été sous-estimé en Suisse. Nous allons donc à présent vérifier les bases légales et mesures organisationnelles dans le cadre d’un projet important placé sous la direction de l’Office fédéral de la protection de la population.

Dans quels domaines percevez-vous encore une nécessité d’agir deux ans après l’accident nucléaire au Japon ?

Beaucoup de projets visant à améliorer la sécurité ont été déjà entrepris par les exploitants. Le plan d’action 2013 montre cependant qu’il existe encore des questions en suspens. Les conditions météorologiques extrêmes, la gestion de crises au niveau suisse ou l’accentuation des marges de sécurité y appartiennent. La sécurité est un processus. En conséquence, les travaux pour l’amélioration de la sécurité ne seront jamais terminés tant que des centrales sont exploitées.

Vous étiez entretemps au Japon, si je ne me trompe pas. Comment avez-vous vécu ce voyage ? Quelles impressions avez-vous reçu ?

Oui, j’ai eu l’occasion de visiter Fukushima Dai-ichi à la suite d’une conférence internationale à la préfecture de Fukushima, peu de temps avant Noël. La visite était impressionnante d’une part en raison des dégâts énormes et d’autre part à cause des efforts entrepris par les Japonais. La visite a aussi renforcé ma conviction : nous sommes sur la bonne voie car nous rendons les centrales plus sûres en nous appuyant sur les enseignements tirés. Fukushima ne doit pas se produire chez nous. Je suis convaincu sur la base des examens de sécurité que Fukushima ne peut pas arriver chez nous.

Quels résultats et expériences avez-vous retiré de ce « sommet de l’énergie nucléaire » au Japon ?

La communauté internationale est désireuse de rendre l’utilisation de l’énergie nucléaire plus sûre. Nous nous sommes une fois de plus engagés à renforcer les exigences de sécurité internationales. Nos demandes les plus importantes ont été abordées. Elles concernent entre autres le recours aux hypothèses de risque les plus récentes lors de la vérification de la sécurité de centrales nucléaires. Ces hypothèses doivent correspondre à l’état de la science et de la technique. Nous exigeons aussi des examens réguliers de toutes les centrales nucléaires et autorités de surveillance par des experts internationaux. Nous demandons une publication des résultats, comme c’est couramment le cas en Suisse.

Hans Wanner en visite de la centrale accidentée au Japon: « Fukushima ne doit pas se produire chez nous » (Photo : Jürgen Döschner)
Hans Wanner en visite de la centrale accidentée au Japon: « Fukushima ne doit pas se produire chez nous. » (Photo : Jürgen Döschner)

Qu’est-ce qui vous traverse l’esprit lorsque vous lisez que Greenpeace arrive, deux ans après Fukushima, à la conclusion que la catastrophe au Japon est due à l’être humain ?

Ce n’est pas un fait nouveau. Nous l’avons déjà écrit dans notre analyse publiée en été 2011. Mais il est aussi risqué de pointer maintenant des personnes du doigt. La sécurité nécessite une culture. Les erreurs doivent pouvoir être admises et discutées de manière ouverte grâce à cette culture. Au travers de ce processus, des améliorations sont prises. S’il ne s’agit que de la recherche de coupables, on détruit cette culture de sécurité et on met aussi en péril la sécurité.

Greenpeace affirme aussi que l’hypothèse du directeur de l’IFSN – « les centrales nucléaires suisses sont en principe sûres » – est fausse ainsi que catastrophique. La surveillance des centrales nucléaires suisses serait insuffisante. Qu’en pensez-vous ?

La loi prescrit que les centrales nucléaires doivent être sûres pour pouvoir être exploitées. Si une centrale n’est pas sûre, elle doit être mise hors service. Notre rôle en tant qu’autorité de surveillance est d’imposer la sécurité et une exploitation sûre. Dans cette optique, nous menons des inspections, exigeons des démonstrations et examinons des demandes. Nous le faisons avec un œil attentif et une attitude critique.

La neutralité de l’IFSN est constamment débattue dans l’opinion publique. Que comprenez-vous par la neutralité ?

Il s’agit d’indépendance. Nous sommes indépendants des points de vue économique et politique. Nous ne nous laissons pas influencer dans notre évaluation. Pour nous, la sécurité a la plus haute priorité.

Quelle attitude adoptez-vous par rapport à l’énergie nucléaire comme ancien syndic de Tegerfelden ?

Je perçois l’énergie nucléaire sans émotion. Je me préoccupe de la protection de la population face aux dangers de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

Lorsque vous n’êtes pas à votre poste de directeur de l’IFSN, vous vivez dans la région de Surbtal. Est-ce qu’il a été plus difficile pour vous de déconnecter de votre travail durant les deux dernières années ?

Bien entendu, on ramène une partie de ses pensées à la maison. Je peux toutefois m’estimer heureux de vivre dans un environnement qui me donne d’autres occupations.

(Source : Die Botschaft, édition du 11 mars 2013 ; ceci est une traduction)