Le géologue Marcos Buser soutient le stockage en profondeur des déchets hautement radioactifs

Les déchets radioactifs doivent être stockés dans des dépôts en couches géologiques profondes. Des déchets faiblement radioactifs à vie courte doivent en être exclus et transférés dans des dépôts de désactivation situés à proximité de la surface. De plus, un dépôt intermédiaire à long terme, proche de la surface, devrait être examiné pour les déchets hautement radioactifs et à vie longue. Marcos Buser arrive à ces conclusions dans son rapport « Hüten» versus «Endlagern»: Eine Standortbestimmung 2014 ».

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La loi suisse sur l’énergie nucléaire prescrit que le stockage des déchets radioactifs doit être réalisé dans des dépôts géologiques en profondeur. De plus, l’ordonnance sur la radioprotection prévoit un stockage de désactivation des déchets faiblement radioactifs sur une période de 30 ans. Lors des débats publics relatifs à la sécurité de dépôts en profondeur, la possibilité de « gardienner » à long terme les déchets radioactifs est souvent évoquée. Selon ce concept, les déchets seraient emmagasinés pendant des millénaires dans des bâtiments ou des cavernes situées à proximité de la surface.

L’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) a mandaté Marcos Buser, ancien membre de la Commission fédérale de sécurité nucléaire, pour réévaluer les résultats de son rapport « «Hüte»-Konzept versus Endlagerung ». Celui-ci avait été établi en 1998 à l’attention de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN). Marcos Buser a été chargé de tenir compte des développements récents.

L’étude réalisée il y a 16 ans aboutissait au résultat principal suivant : le stockage de durée à la surface, dans des dépôts intermédiaires spéciaux, comporte des risques qui n’existent pas avec un dépôt en profondeur comblé.

Il faut des mesures de sécurité passives et actives

Le nouveau rapport en allemand s‘intitule « Hüten » versus «Endlagern»: Eine Standortbestimmung 2014 ». Marcos Buser y arrive à la conclusion que des mesures de sécurité passives et actives ne doivent pas être opposées les unes aux autres. Toutes deux sont nécessaires à des périodes différentes, respectivement pour des tâches différentes.

Le rapport signale que « le stockage intermédiaire nécessite des mesures actives en matière de planification, de sécurité, de sûreté et d’accompagnement. » En revanche, le stockage définitif et durable doit reposer uniquement sur des mesures de sécurité passives. Une exception subsiste : « La protection contre une intrusion dans le dépôt final en profondeur et le travail de mémoire doivent être garantis sur une période de quelques milliers d’années et même plus longtemps – un autre défi majeur pour les sociétés futures. »

Trop peu de stabilité pour le « gardiennage » de risques à long terme

L’auteur remarque qu’un « gardiennage » de risques à long terme, comme ceux liés aux déchets radioactifs, ne peut pas être accepté sur de longues périodes. L’histoire montre  de façon claire qu’il n’est pas possible de miser sur une stabilité durable de sociétés. « Vu sous cet angle, l’idée d’un « gardiennage » éternel des déchets radioactifs et les conceptions d‘un entreposage de durée doivent être perçues comme étant obsolètes », écrit Marcos Buser dans ses conclusions.

L’IFSN voit sa position confirmée par ce rapport : un « gardiennage » des déchets radioactifs ne représente pas une solution à long terme.

Stockage intermédiaire sur de longues périodes

De manière générale, il semble se dessiner une tendance vers un ralentissement de la mise en œuvre concrète des dépôts en couches géologiques profondes pour déchets hautement radioactifs. Dans les faits, cela signifie que le stockage intermédiaire de ces déchets doit être poursuivi sur de plus longues périodes. Cela pourrait poser de nouveaux défis par rapport au conditionnement des déchets. Il pourrait toutefois aussi en résulter des avantages concernant la chaleur dans le dépôt en profondeur provenant des déchets emmagasinés récemment. Un « gardiennage » sur une période déterminée et une durée allant jusqu’à quelques générations semblent être à ce titre avérés. Le risque d’un désintérêt croissant de la société par rapport à une solution pour la gestion des déchets nucléaires doit être pris au sérieux.

Sécurité passive et active

Aujourd’hui, il est clair que des barrières de sécurité passives ne doivent plus être prévues à elles seules dans le concept de dépôt en couches géologiques profondes. Un accompagnement actif du dépôt en profondeur par la société sera également nécessaire à l’avenir, surtout lors des premières mille années jusqu’à ce qu’une grande partie des produits de fission se sont désintégrés. L’être humain et l’environnement ne doivent donc pas seulement être protégés contre le contenu du dépôt en profondeur ; l’intégrité du dépôt face à de possibles intrusions humaines doit aussi être garantie. L’engagement actif de la société sur une telle période semble, à la lumière des expériences historiques, être en principe faisable. Une culture du « gardiennage » s‘avère nécessaire, même si celle-ci se réfère « seulement » au travail de mémoire, aux archives ou au marquage des sites.

Stockage de désactivation

Pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, il n’existe aucune raison d’attendre et d’exploiter des dépôts intermédiaires sur de plus longues périodes. En principe, deux stratégies devraient être poursuivies. Pour les déchets très faiblement radioactifs avec des durées de stockage inférieures à 300 ans jusqu’à l’atteinte d’une limite d’exemption, une réflexion devrait être initiée pour savoir s’il n’est pas plus judicieux d’appliquer une stratégie de « gardiennage » et d’aménager des dépôts de désactivation pour de tels déchets. Un stockage dans des cavernes sécurisées pourrait être utilisé à cette fin. Un avantage serait que des matières avec un potentiel de nuisance important (par exemple la formation de gaz) seraient exclues du dépôt final pour déchets faiblement et moyennement radioactifs. Elles pourraient être en partie être recyclées ou gérées de manière conventionnelle (par exemple les déchets du CERN). La mise en œuvre de cette stratégie nécessite en Suisse une adaptation de la législation.

Recommandations de l‘étude

En vue de mettre en œuvre les stratégies présentées plus haut, il est recommandé  :

a)      de prévoir, d’autoriser au niveau légal, de planifier et d’aménager des dépôts de désactivation pour déchets faiblement radioactifs à vie courte ; en raison de la durée de stockage de 300 ans, de tels dépôts de désactivation devraient être exploités sur mandat de l’Etat.

b)      d’aborder et de mettre en œuvre le dépôt pour déchets faiblement et moyennement radioactifs de manière la plus ciblée possible. Des solutions pour les déchets de la médecine, de l’industrie et de la recherche devraient être trouvées qui vont bien au-delà de la date de fermeture prévue jusque-là (voir sur ce point les calendriers de la Nagra sous la référence Nagra 2008).

c)      d’aménager un dépôt intermédiaire à long terme notamment pour les déchets hautement radioactifs et à vie longue jusqu’à ce qu’un dépôt en profondeur ou une autre solution soit réalisable. Ce dépôt devrait être central, bien protégé et à proximité de la surface.  Il est crucial de s’employer à ce que la sécurité soit aussi bien préservée que possible même en cas de situations où la société est moins stable. La mise en lumière de telles situations devrait avoir lieu de la manière la plus ciblée possible.

d)      de poursuivre la planification du dépôt en couches géologiques profondes pour déchets hautement radioactifs en tenant compte des possibilités de participations internationales.

e)      d’élargir fortement le champ de la recherche et le développement selon l’art. 86 de la loi sur l’énergie nucléaire, notamment à des institutions scientifiques, des bureaux d’experts et des spécialistes indépendants des exploitants de centrales nucléaires.