« Même si les fissures atteignent les valeurs définies par l’IFSN, l‘enveloppe du cœur reste suffisamment stable »

Aucune mesure de stabilisation mais un programme de contrôle élargi et des valeurs limites sont prévus pour l’enveloppe du cœur de la centrale nucléaire de Mühleberg en vue d’un fonctionnement sûr. Georg Schwarz, chef du domaine de surveillance « centrales nucléaires » de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), explique dans cette interview comment la sécurité reste garantie.

Que signifie « l’enveloppe du cœur doit être sûre » ?

Georg Schwarz : La fonction de l’enveloppe du cœur consiste essentiellement à orienter le flux de l’eau de refroidissement dans le cœur du réacteur. Il faut par exemple garantir que l’enveloppe du cœur ne bascule pas ou qu’elle ne se déforme pas en cas de grave séisme, parce qu’un joint de soudure rompt et que ce joint maintient les différents cylindres de l’enveloppe. L’insertion sûre des barres de commande, devant interrompre la réaction en chaîne dans le réacteur, pourrait sinon être perturbée.

Dans quel état se trouve aujourd’hui l’enveloppe du cœur à Mühleberg ?

L’enveloppe du cœur de Mühleberg est stable et satisfait aux exigences pour une exploitation sûre. On y a trouvé pour la première fois des fissures dans les joints de soudure horizontaux au début des années 1990. Lors de la révision annuelle 2014, on a en plus découvert des fissures transversales. L’étendue des fissures ne présente cependant jusque-là aucune menace pour un fonctionnement sûr.

Quelle est la cause de ces fissures ?

Le phénomène des fissures dans l’enveloppe du cœur est aussi survenu dans d’autres réacteurs à eau bouillante dans le monde. Les fissures se situent dans la zone des joints de soudure affectés par la chaleur – c’est-à-dire dans les secteurs positionnés directement à côté du matériau de soudure. Par la présence conjointe de contraintes internes à la soudure, d’une imprégnation par l’eau de refroidissement et d’un matériau vulnérable, la corrosion fissurante intergranulaire peut apparaitre en cas de conditions défavorables. Lors de contraintes mécaniques faibles et moyennes, ceci a pour conséquence une croissance lente et stable des fissures.

A-t-on la maîtrise du problème ? Comment les fissures vont-elles évoluer dans les prochaines cinq années ?

Le mécanisme de corrosion fissurante intergranulaire sur des aciers inoxydables a entretemps été très bien étudié. Des données importantes existent concernant les conditions de tendance aux fissures et la progression de celles-ci. En raison des connaissances et de l’expérience en exploitation, des programmes de contrôle et des modèles spécifiques pour l’évaluation des fissures en termes de mécanique de rupture peuvent être établis. La qualité des contrôles et les modèles ont été continuellement perfectionnés ces dernières années. L’évolution de dommages peut ainsi être toujours mieux prédite. Les fissures transversales au joint de soudure sont relativement petites. Elles sont un nouvel effet causé toutefois par le même mécanisme.

 

Georg Schwarz, chef du domaine «centrales nucléaires» et directeur suppléant de l'IFSN
Georg Schwarz, chef du domaine «centrales nucléaires» et directeur suppléant de l’IFSN

Malgré les incertitudes, l’IFSN accepte que la centrale nucléaire de Mühleberg ne munisse pas l’enveloppe du cœur de mesures de stabilisation supplémentaires, pourquoi ?

Nous avons exigé ces mesures de stabilisation supplémentaires lorsqu’il s’agissait d’une exploitation à long terme illimitée de la centrale nucléaire de Mühleberg. On était alors partis du principe que l’installation serait exploitée au minimum dix années supplémentaires. Avec la décision de mettre définitivement la centrale hors service fin 2019, la situation a changé. Une solution qui tient dix ans ou plus n’est plus nécessaire. Il faut toutefois garantir que la sécurité pendant les cinq années de la durée d’exploitation restante soit garantie à tout moment.

A quoi ressemble cette solution ?

Le programme de contrôle pour les joints de soudure de l’enveloppe du cœur est sensiblement élargi. D’après les mesures importantes effectuées jusque-là et les actions correctrices effectuées dans la centrale nucléaire de Mühleberg, il est possible de s’attendre à ce qu’une progression plus rapide ou instable des fissures soit exclue.

Comme la surveillance est-elle faite ?

BKW SA nous a présenté un élargissement du programme de contrôle pour la surveillance du développement des fissures dans l’enveloppe du cœur. Désormais, les contrôles périodiques ont lieu chaque année. Jusque-là, la mesure était réalisée sur le joint de soudure du milieu. Il est le plus concerné. Les contrôles non destructifs sont effectués avec des systèmes de contrôle qualifiés. En tant qu’autorité de surveillance, nous avons en plus fixé deux critères. Ils définissent sous quelles conditions la centrale peut être redémarrée après une révision.

Quels sont ces critères ?

Le premier critère concernant l’intensité maximale de contrainte sert à empêcher des fissures trop longues et trop nombreuses. Selon la deuxième valeur limite, les valeurs transversales ne doivent pas être plus longues que 32 centimètres. Il est alors garanti que les connaissances actuelles concernant le mécanisme d’apparition des fissures soit transposables aux nouvelles fissures qui apparaissent de manière transversale au joint de soudure.

Sur quoi reposent ces valeurs limites ?

Pour la valeur limite concernant l‘intensité maximale de contrainte, donc la tension précédant la tête de la fissure, il subsiste toujours une marge supplémentaire par rapport aux valeurs minimales exigées dans la réglementation. Si la deuxième valeur limite ne peut pas être respectée, il faut partir du principe qu’un autre mécanisme est à l’œuvre, par rapport à ce qui est supposé aujourd’hui, concernant la progression des fissures de manière transversale au joint de soudure.

La sécurité est-elle par-là suffisamment assurée?

Oui. Les critères sont définis de sorte que l’intégrité de l’enveloppe du cœur ainsi qu’une marge de sécurité soient toujours garanties si les deux valeurs limites sont atteintes. En d’autres mots : même si les critères sont atteints, l’enveloppe du cœur est suffisamment stable. Le programme de contrôle élargi permet de garantir que l’évolution des fissures fasse l’objet d’un suivi rapproché et précis.

Que se passe-t-il si les valeurs limites sont atteintes ?

Cette constatation aurait lieu lors d’une révision annuelle, donc lorsque la centrale nucléaire est arrêtée. BKW SA ne pourrait ensuite plus remettre en service la centrale nucléaire de Mühleberg.