Série de Lucens : des conditions strictes pour la phase d’essai
Même avec l’apport des connaissances d’experts externes (par exemple issus des secteurs de la construction et de la technique de contrôle-commande), la centrale nucléaire expérimentale de Lucens (CNEL) restait un défi de taille. Avant de pouvoir débuter la phase d’essai du projet, il fallut réunir un certain nombre de conditions préalables.
Le réacteur de la CNEL était conçu comme réacteur à tubes de force. Chacun des 73 éléments combustibles disposait ainsi de sa propre enceinte sous pression. Le dioxyde de carbone (CO2) servant de gaz de refroidissement et de caloporteur circulait dans ces tubes de force pour céder ensuite l’énergie libérée par la fission nucléaire à un circuit secondaire par l’intermédiaire d’un échangeur thermique. La vapeur surchauffée du circuit secondaire alimentait ensuite une turbine elle-même attelée à un alternateur. Les 73 tubes de force étaient disposés dans un réservoir de modérateur rempli d’eau lourde (D2O). L’eau lourde avait pour rôle de ralentir (« modérer ») à une valeur adéquate les neutrons nécessaires à la fission nucléaire.
La conception de la CNEL permettait d’obtenir un réacteur particulièrement compact se contentant d’une enceinte de confinement aux dimensions relativement restreintes. Cette enceinte de confinement consistait en une paroi d’aluminium, d’asphalte et de béton d’environ 60 centimètres d’épaisseur qui habillait la caverne de réacteur.
Obligations et conditions imposées par l’autorité de sécurité CSA
Pour la conception de la caverne de réacteur, le maître d’ouvrage la Société nationale pour l’encouragement de la technique atomique industrielle (SNA) avait pris en compte pour la pression, la température et les rejets de substances radioactives « l’accident hypothétiquement le plus grave » et non pas comme dans le reste du monde « l’accident le plus grave imaginable ». Lors de la procédure d’autorisation, la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires (CSA) imposa au maître d’ouvrage diverses conditions et obligations. La commission exigea par exemple l’exécution de tests de pression et d’étanchéité de la caverne de réacteur. Lorsque plus tard les mesures effectuées ne purent pas confirmer l’étanchéité souhaitée, une installation d’évacuation de secours des effluents gazeux avec filtres à charbon actif fut mise en place. Cet équipement créait les conditions nécessaires au respect des valeurs limites des rejets avec une importante marge de sécurité, même pour les cas d’accidents extrêmes. La CSA prit également acte de la nouvelle conception complexe des ensembles combustibles, mais estima que le risque qui en résultait était acceptable.
L’autorité de sécurité avait insisté sur l’importance d’un système fiable d’arrêt d’urgence du réacteur. Elle devait également approuver le renforcement de six des dix tubes de guidage des barres de commande ainsi que le montage de disques de rupture sur le couvercle du réservoir de fluide modérateur. Ces deux dispositifs de sécurité devaient assurer en cas de défaillance grave que les barres de commande étaient en mesure d’arrêter immédiatement les réactions en chaîne, mesures qui devaient prouver leur efficacité lors de l’avarie de réacteur de janvier 1969. Le Département fédéral des transports et communications et de l’énergie (DFTCE) devait accorder le permis de construire final en mai 1965, et l’autorisation d’exploitation provisoire en décembre 1966.
Peu avant, le réacteur d’essai « Diorit » à Würenlingen avait été affecté par un incident. Depuis mai 1966, des essais avaient été effectués dans le circuit d’hélium de « Diorit » avec un élément combustible de type Lucens. Ils avaient pour but d’acquérir de premières expériences en condition d’exploitation avec ce nouveau type de conditionnement du combustible. Le 16 novembre 1966, lors d’une montée en puissance du réacteur, il se produisit une fusion partielle de l’uranium et de la gaine de magnésium. La CSA exigea alors une analyse approfondie de l’anomalie, qui devait conclure que l’incident était dû à la montée rapide en puissance. Compte tenu de ce résultat, Therm-Atom devait alors recommander pour l’exploitation de la CNEL des taux de variation de puissance lents lors du démarrage et des variations de régime, ainsi que toute une série d’autres mesures.
Phase d’essai de deux ans
Le réacteur expérimental de Lucens atteignit l’état de criticité pour la première fois le 29 décembre 1966. L’année suivante fut consacrée à des essais de mise en service sous la surveillance de la CSA ainsi qu’à divers travaux de finition et d’amélioration. A partir de 1968, la puissance du réacteur fut graduellement augmentée. En avril/mai 1968, un essai d’endurance de dix jours à près des deux tiers de la puissance maximale était effectué. La phase d’essai de la CNEL fut ainsi achevée, et l’exploitation de la centrale nucléaire expérimentale fut transférée le 10 mai 1968 à Énergie Ouest Suisse (EOS). De la mi-août jusqu’à la fin octobre 1968, la centrale fonctionna sous un régime continu provisoire jusqu’à sa puissance maximale thermique de 30 mégawatts. Le fonctionnement fut ensuite été interrompu par une période de réparation et d’amélioration.
La phase d’essai de deux ans de la CNEL n’avait pas commencé depuis longtemps que les premières complications apparurent. Jusqu’à la décision de l’exploitation dans des conditions définitives en janvier 1969, ces problèmes ont dû être résolus.
Il s’agit là du troisième d’une série de dix articles sur l’histoire de la centrale nucléaire expérimentale de Lucens. Vers la quatrième partie.